Sommaire
1 - Le système et ses acteurs, la perversité du processus
2 - Les victimes
3 - L'agresseur et le processus de harcèlement
4 - les causes du harcèlement moral en entreprise
Les définitions de base ont été développées dans le premier livre de MF Hirigoyen : Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien. Dans ce second livre le sujet est développé plus particulièrement dans le contexte travail mais apporte également des précisions sur les méthodes en général et sur le contexte.
La perversité du systéme-entreprise : quand une personne est harcelée dans un groupe, l'entreprise fait souvent intervenir un spécialiste qui va traiter ce groupe comme si il était malade et lui appliquer un "traitement". Le traitement en question utilisera en fait les mêmes procédés en plus pervers. La personne est stigmatisée et on fait en sorte de la psychiatriser. Dans cette stratégie d'évitement du conflit, le changement est empêché.
Dans les cas de harcèlement stratégique : le harcèlement moral vise souvent à un formatage de la personne désignée. Le harcèlement est un moyen utilisé par le groupe pour imposer sa logique, pour mettre au pas les anti-conformistes ou ceux qui pourraient déranger les habitudes du groupes, notamment ceux qui dénoncent ses dysfonctionnements.
MF Hirigoyen met en avant les caractéristiques suivantes :
- La loi du silence,
- La mise à l'écart des personnes qui n'ont pas le "bon réseau" avec eux.
- La perte du sens qui est une des conséquences du harcèlement moral, et la destructuration provoquée par cette perte de sens.
- Le fait de l'intentionnalité de la malveillance, la conscience de faire du mal. Et la difficulté de mesurer cette intentionnalité de destruction : "L'intentionnalité qui vient des personnes qui dirigent ou qui profitent du système pervers" (p.78)
- La cascade de manipulations dans les systèmes : "Quand ils sont accusés de harcèlement moral, un grand nombre de cadres disent qu'ils n'ont fait que suivre les ordres de la hiérarchie". (p.79)
MF Hirigoyen renvoie au devoir de désobéissance : l'importance de ne pas déresponsabiliser les acteurs du harcèlement moral aux différents niveaux, même si ils suivent une personne qui est à l'origine de ce harcèlement et qui est la plus perverse de toutes.
- Dans tous les contextes, les étapes qui visent à écraser une personne sont les mêmes : la violence est distillée d'abord à doses homéopathiques et paralyse, par des procédés d'emprise. La victime ne peut plus se défendre. (p. 266)
Les personnes harcelées sont dans l'incompréhension face aux agressions qui leur sont infligées. Elle sont l'impression de ne souffrir pour rien. (P. 204).
"Ce qui nous rend malade c'est l'incompréhensible, ce sont les discours faux destinés à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. On sait que le double langage familial peut rendre un individu schizophrène, mais le double langage dans les entreprises peut détruire les salariés ou les rendre paranoïaques". (p.213).
Le harcèlement moral ne s'inscrit pas dans une logique de bon sens ; celui qui le subit ne comprend rien à ce qui lui arrive. Si il existe un traumatisme et si les symptômes stagnent, c'est parce que ces situations sont proprement inimaginables. Ces violences sont proprement impensables. (p. 206).
"Il faut noter que les injonctions paradoxales (dire une chose et exprimer son contraire par exemple) sont souvent utilisées dans ce que l'on pourrait appeler les "techniques de harcèlement". Il s'agit d'empêcher l'autre de comprendre, de le paralyser. (p. 213).
Le harcèlement moral use tellement les personnes qu'elles perdent toute illusion et tout espoir.
"Les passages à l'acte agressif sont la conséquence directe de la perte de sens et de l'impossibilité à se faire entendre". (p. 214) Tout acte impulsif sera retourné contre le salarié..
Les modifications psychiques due au harcèlement qui est un meurtre psychiquepeuvent être (p. 216) : la destruction de la personnalité, la dissociation mentale, la névrose traumatique, la rigidification de la personnalité, la psychose.
Au sujet du profil du harcelé :
Si des blessures peuvent être antérieures à la situation de harcèlement moral, ce ne sont pas ces traumatismes qui en sont à l'origine. Et il ne faudrait pas que les agresseurs essaient de se disculper en mettant en avant la fragilité antérieure de certaines victimes (p. 210)..
Parmi les situations qui prêtent au harcèlement (p. 271) :
. les personnes atypiques,
. les personnes trop compétentes ou qui prennent trop de place,
. ceux qui résistent au formatage (les salariés trop honnêtes, trop scrupuleux, trop dynamiques...),
. ceux qui ont fait la mauvaise alliance ou qui n'ont pas le bon réseau - On attaque de préférence les salariés isolés, et, pour ceux qui ont des alliés, on s'arrange pour les désolidariser. (p. 275) Des personnes sont parfois sacrifiées au nom d'une rivalité de groupe.
. les salariés protégés,
. les personnes moins "performantes",
. les personnes temporairement fragilisées,
. la victime innocente, le bouc émissaire : un collectif humain fait retomber les torts sur un individu ou un groupe qui n'est pas concerné et qui ne pourra rien y faire. Le bouc émissaire a pour origine un rituel sacré de type sacrificiel. (p. 279) Une victime est désignée, on cultive l'illusion de sa culpabilité, afin de permettre d'évacuer toute sorte de tensions collectives. La colère indicible d'un individu ou d'un groupe est transférée sur une victime innocente.
. Il y a aussi des facteurs prédictifs, certaines personnes sauront moins bien se protéger : une mauvaise estime de soi, un besoin exacerbé de reconnaissance, les personnes très investies dans leur travail, les sensitifs, les personnes isolées (ex. : les femmes seules avec enfants, les travailleurs précaires) (p. 298)
Au sujet de la thèse avançant que c'est la pression psychologique de la nouvelle organisation du travail qui peut transformer tout individu ordinaire en persécuteur, MF Hirigoyen pense que ce n'est pas le cas et que certaines personnes ont des valeurs suffisamment fortes pour savoir résister. Si certains contextes sont déstabilisants, tout le monde ne devient pas harceleur. (p.306)
MF Hirigoyen opère une classification des différents niveaux d'agressivité qu'elle a repérée : (p. 308 à 349)
. les malentendus ou erreurs de management,
. la mésentente,
. les troubles psychiatriques transitoires.
. la transmission du stress,
. l'anxiété névrotique,
. les dirigeants caractériels,
. les chefs paranoïaques,
. les personnalités obsessionnelles.
. le harcèlement par intrusion,
. ceux qui suivent la perversité du groupe : mis à par les purs et durs qui souffrent et réagissent et prennent le risque d'être mis à l'écart, on distingue deux sortes de comportements : les craintifs qui suivent par peur, et les collabos qui se font embrigader et participent à la perversité du groupe.
. les moutons : ils suivent aveuglément la hiérarchie, en étant hyper conformes ils sont protégés. Plus la culture du groupe est forte et plus il est inconfortable de ne pas y adhérer. Ce syndrome de mouton se retrouve à tous les niveaux de la hiérarchie ; les chefs d'entreprise ne sont pas épargnés.
. la transmission de la perversité :
C'est le groupe qui met à l'écart une personne et la harcèle soit parce qu'elle est considérée comme pas assez performante, soit parce que la direction en a fait la suggestion au groupe qui par soumission s'exécute. cf Stanley Milgram. Quand un individu rejoint une entreprise il ne se considère plus comme l'auteur de ses propres actes et responsable de ceux-ci, mais comme l'exécutant des volontés de cette hiérarchie et, comme tel, déchargé de toute responsabilité.
Les cadres qui transmettent la perversité dans un groupe en souffrent parfois mais ils se taisent car leur sens moral n'existe pas. (...) Mais dans les groupes se sont souvent les individus pervers qui se proposent comme leader. Les pervers narcissiques éprouvent une grande jouissance à manipuler les autres pour les pousser à manipuler eux-mêmes. (p.340) Ils poussent les autres à agir et ensuite ils disparaissent de la situation.
Il suffit d'un individu pervers dans un groupe pour que le groupe entier perde ses repaires moraux. Mais il suffit aussi d'une seule personne qui ne suit pas et dénonce les comportements inacceptables, pour que le groupe ouvre les yeux et réagisse. Cela nous donne des pistes pour la prévention.
- les personnalités narcissiques :
Ce sont des personnalités fausses qui cherchent à faire illusion. Elles attendent tout des autres. Elles sont dans une course au pouvoir sans fin. Elles utilisent les autres comme faire valoir, tout d'abord en prenant leurs idées, en les utilisant, puis en les disqualifiant afin de rester seules en bonne position.
Toujours pour préserver leur image, les individus narcissiques évitent d'affronter l'autre et de dire ce qui ne va pas, de crainte d'être mis en échec dans un conflit ouvert. Pour masquer leur insécurité, ils projettent leur frustration sur un autre qu'ils contrôlent, dévalorisent ou rabaissent. ils choisissent un subordonné qui n'a pas le choix, un collègue fragilisé, ou une personne trop scrupuleuse ou trop à l'écoute des autres.
C'est par le biais du narcissisme que les entreprises manipulatrices ont prise sur les personnes. Les individus narcissiques intègrent la logique du système sans aucun sens critique et deviennent ce que l'entreprise veut qu'ils deviennent. Ils ont une "hyperplasticité".
Les pervers narcissiques sont des individus qui établissent avec autrui des relations fondées sur les rapports de force, la méfiance et la manipulation. Ils ne peuvent reconnaître l'autre que soit comme une personne complémentaire qui les enrichit de sa différence, soit, a priori, comme un rival à combattre. Ils cherchent à dominer ou détruire tous ceux qui pourraient être une menace pour leur pouvoir. Ils projettent toute leur violence interne sur quiconque pourrait les démasquer ou faire apparaître leur faiblesse. Ils jouissent de pointer ce qui démolira le plus sûrement l'identité de la victime.
Quand un pervers narcissique est démasqué, il se met habilement en position de victime. Il renverse la situation.
A une époque où le monde du travail est devenu de plus en plus impitoyable, il s'opère une sorte de sélection naturelle qui place les pervers narcissiques à des postes stratégiques. Ils ne se laisseront pas émouvoir par les aléas humains. Ils ont un pouvoir de séductions qui leur permet d'entraîner un groupe à la perversité.
Parmis ces causes, il ressort :
- les méthodes de travail stressantes.
- La mauvaise communication :
"Alors que l'un des programmes de formation les plus proposés dans les cours de management est l'art de bien communiquer, il apparaît que les personnes se parlent de moins en moins". (p. 235)
Tout non-dit entraîne un risque de malentendu ou de manipulation. (p. 237) Partout, à côté des messages officiels, il y a des messages implicites. (p. 238)
"Il ne s'agit pas de communiquer, mais au contraire, d'empêcher de comprendre pour ne pas dévoiler les stratégies de l'entreprise". Les entreprises ne communiquent pas sur la réalité des faits, mais font passer des messages paradoxaux destinés à manipuler les salariés. (p. 239)
Les repères sont faussés.
- Le formatage :
Dans le monde du travail, les valeurs individuelles sont escamotées. (p. 240) Il faut être dans le moule de l'entreprise et du poste à pourvoir.
"L'autonomie des salariés est encadrée et ne doit pas sortir des normes. Tout en prônant la créativité, les entreprises traditionnelles craignent toute nouveauté de pensée et préfèrent le conformisme intellectuel ou tout du moins un conformisme de "forme".
Les dirigeants craignent l'incertitude et le désordre qu'engendre le changement et hésitent à se remettre en question. (p. 241)
Les hommes ne doivent pas trop poser de questions, ne pas trop penser par eux-même. Ils sont conduits à aliéner une partie de leur personnalité.
- "les salariés eux-mêmes veulent éviter d'être exclus du groupe et sont prêts à se censurer afin de ne pas détonner."(p.242) Il ne s'agit pas seulement de garder son emploi mais d'appartenir à un groupe. Ils redoutent de parler seuls contre tous.
"Est-ce que les normes imposées dans le monde du travail, au nom de l'intérêt général, ne viennent pas remplacer les valeurs ?" (p.243)
- Le manque de reconnaissance : Le milieu professionnel, au lieu de rassurer, attaque l'estime de soi des individus.
- Le cynisme du système :
De même qu'il existe des pathologies individuelles, il existe des pathologies collectives. On retrouve au niveau des entreprises les mêmes profils qu'au niveau des personnes. (p. 250)
Il y a une dérégulation des relations et tous les coups sont permis. Le système devient alors pervers en lui-même, puisqu'il y a au sommet une absence totale de morale.
- La déresponsabilisation : Il existe un malaise dans la société où personne ne veut plus être tenu responsable de quoi que se soit et trouve un moyen de reporter la responsabilité sur les autres. Avec la hiérarchie en réseau, il est facile de ne pas se sentir responsable. (p. 252)
- La mégalomanie des dirigeants qui ont des méthodes de management toxiques (p. 253) : Des dirigeant narcissiques de grands groupes internationaux règnent en maîtres sur le reste du monde.
- La perversité du système :
Si la perversité consiste à entraîner les individus vers ce qu'ils ont de pire en eux et d'induire des comportements pervers, on peut dire qu'incontestablement il existe des entreprises perverses. (p. 256)
Dans une entreprise toxique, il existe des règles occultes perverses" (p. 258) : On y utilise le double langage et le paradoxe pour mieux mettre les salariés sous emprise, on ment pour mieux dissimuler les procédés illégaux.Entre le mensonge et la langue de bois, personne ne peut plus avoir confiance.
On considère d'abord comme inévitables, puis on finit par considérer comme normaux, les abus de pouvoir, les manipulations, les corruptions, les dérives mafieuses.
Si on soudoie les personnes en achetant leur silence ou leur docilité, on peut être surs que ce comportement se répercutera ultérieurement à un échelon inférieur. (p. 260)
- La destruction des personnes :
Lorsqu'une entreprise est en difficulté, il arrive qu'elle embauche "un nettoyeur" pour ne pas dire un tueur, qu'elle fait venir de l'extérieur. Il vient pour faire le ménage sans état d'âme : fermeture d'usines, suppressions d'emplois.
L'alternance du management par la peur et du management par la séduction permet la soumission des salariés. (p. 261)
la société narcissique :
Pour critiquer les méthodes de management, il faut les replacer dans le contexte social. Nous sommes dans une société narcissique qui nous invite au culte de l'ego. (p. 263)
Il faut paraître, faire illusion ou se baigner d'illusions à défaut d'être le meilleur. Nous avons appris à accepter le système, même si ce système nous pousse vers l'abîme. (p. 264) On crée ainsi une société ou chaque être humain est un adversaire potentiel qui peut prendre votre place.
Pour que la société change il faut que chaque individu qui la compose se remette en question et s'efforce de changer. (p. 264)
MF Hirigoyen tente de faire le point sur le détournement du harcèlement moral ; l'agresseur qui tente de se faire passer pour une victime, les situations de "harceleur harcelé", les fausses allégations dont celles qui sont le fait de personnalités paranoïaques...
Et là il faut être vigilants.
Copyright © Josselyne Abadie
conscience-vraie.info
page créée le 23 décembre 2002 republiée le : 09 juin 2011
Marie-France Hirigoyen :
1- Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle / Démêler le vrai du faux - Ed. La découverte et Syros 2001
2- Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien - Ed. La découverte et Syros 1998
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